Changer de banque 3. Les banques éthiques

Quelles sont les banques éthiques et comment s’assurer qu’elles sont réellement meilleures que la plupart des autres banques ?

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Si vous n’acceptez pas que votre banque finance des projets controversés, comme des projets d’énergies fossiles néfastes pour l’environnement et les humains (voir mon article sur le sujet), qu’elle pratique l’évasion fiscale, qu’elle mette en danger l’économie mondiale par ses pratiques financières dérégulées, ou qu’elle soit complice de crimes divers (voir le second article de ma série sur les banques), vous pouvez décider de changer de banque, en lui envoyant éventuellement une lettre pour exprimer votre mécontentement (ce que propose notamment le site jechangedebanque.eu pour quelques banques françaises, ou encore FairFinance en France ou en Belgique).

Vous pouvez ainsi suivre l’exemple du mouvement de désinvestissement des énergies fossiles, qui a commencé dans les universités états-uniennes, encouragées par leurs étudiants à cesser de financer des projets « climaticides ». Depuis, d’autres universités, mais aussi un journal comme le Guardian ou encore des institutions catholiques ont suivi (voir par exemple cet article et cette liste). D’après un rapport publié en 2017 par une association d’ONG, environ 20 milliards d’euros au total ont déjà été désinvestis de projets d’extraction et d’exploitation de charbon par une quinzaine de compagnies d’assurance, conscientes des sommes extrêmement importantes que pourrait leur faire perdre le changement climatique. L’ONG 350.org se bat elle aussi pour un désinvestissement massif des énergies fossiles et dénonce par exemple le partenariat du Louvre avec Total (voir ici et ). Avec le hashtag #DivestTheGlobe, des peuples indigènes invitent les citoyen·ne·s de tous les pays à retirer à leur tour leur argent des banques qui financent des projets écologiquement ou socialement désastreux (voir cette vidéo, en anglais), et une campagne de boycott en ligne s’adresse à la Société Générale, qui investit massivement dans des projets d’énergies fossiles controversés.

Mise en scène d’une fausse marée noire dans le musée du Louvre,
par le collectif « Libérons le Louvre », soutenu par 350.org (photo : Denis Meyer)

Des études comparatives

Mais alors, quelle banque choisir ? La plupart des banques éthiques européennes sont regroupées au sein de la Fédération Européenne des Finances et Banques Éthiques et Alternatives (FEBEA), qui publie la liste des membres sur son site. On y trouve notamment, en France, la Nef et le Crédit Coopératif et, en Suisse la Banque Alternative Suisse. Différentes études évaluent par ailleurs les banques en fonction de critères éthiques et/ou écologiques. Le site Banktrack (en anglais) s’intéresse ainsi à plusieurs banques dans de très nombreux pays, inventorie les différents projets « climaticides » qu’elles soutiennent et attribue à quelques unes une note en fonction de leur respect des droits humains (la Société Générale obtient ainsi la note de 2,5/12).

L’ONG Les amis de la terre France a publié en 2017 un guide pour bien choisir sa banque. Elle conseille en premier lieu la Nef, place le Crédit coopératif en deuxième place, mais BNP Paribas, le Crédit agricole-LCL et la Société Générale tout en bas de l’échelle. Fairfinance France (voir fig. 1) attribue à la Banque postale, au groupe BPCE, à BNP Paribas, au Crédit Agricole, au CIC et à la Société Générale des scores négatifs ou extrêmement négatifs dans huit domaines : changement climatique, droits humains, droit du travail, environnement, bonus et rémunération, fiscalité, transparence et redevabilité et enfin armes. Le Crédit coopératif a des scores positifs à très positifs (à une exception près), tandis que la Nef n’obtient que des excellents scores.

Fig. 1. Tableau comparatif de banques par Fairfinance France

En Belgique, FairFinance (voir fig. 2) évalue les banques selon neuf critères : changement climatique, nature, droits de l’homme, droit du travail, armes, fiscalité, bonus et rémunération, transparence et corruption. Les plus grandes banques, comme Belfius, BNP Paribas Fortis et ING, obtiennent des notes moyennes mitigées ou faibles.

Fig. 2. Tableau comparatif des banques par FairFinance Belgique

Le WWF, dans un rapport, classe également les 15 plus grandes banques de détail suisses en fonction de leurs avancées en termes de développement durable (fig. 3).

Banques_suisses_WWF

Fig. 3. Voie de développement durable pour les banques de détail suisses (d’après le WWF)

Qu’est-ce qu’une banque éthique ?

Mais quels sont les critères qui permettent de qualifier une banque d’éthique, au-delà du fait qu’elle ne finance pas de projets controversés, n’accepte pas d’argent « sale », n’a pas recours à des paradis fiscaux et ne spécule pas avec l’argent de ses client·e·s ? Les établissements qui adhèrent à la Fédération Européenne des Finances et Banques Éthiques et Alternatives doivent répondre à certains critères (voir ici et ). Ils doivent œuvrer pour l’intérêt général ; investir dans des projets à forte valeur écologique, sociale ou culturelle ; être transparents quant à l’utilisation de l’argent qui leur est confié ; permettre « une large participation de la part des employés et des actionnaires ou sociétaires » ; publier des chiffres sur la rémunération de leurs employé·e·s et ne pas dépasser un rapport de 1 à 7 entre la plus haute et la plus basse rémunération (qui prend en compte non seulement le salaire, mais également les primes et bonus) ; enfin, un groupe bancaire traditionnel ne peut pas être l’actionnaire majoritaire d’une banque éthique. Première précision : les banques coopératives ne sont pas nécessairement des banques éthiques. Ainsi, le Crédit agricole, qui fait partie, comme on l’a vu, des mauvais élèves, est une banque coopérative. Deuxième précision : il peut y avoir des différences importantes entre différentes banques éthiques. Je vais en présenter quelques unes pour expliquer leur fonctionnement.

En France

La principale banque éthique française est le Crédit coopératif, dont de nombreux produits sont certifiés par les labels Finansol et Novethic (voir son guide de l’épargne éthique et solidaire). La banque est spécialisée dans l’Économie Sociale et Solidaire (ESS). Ses client·e·s sont principalement des associations, des organismes sociaux, des mutuelles, des collectivités… engagé·e·s dans différents domaines comme la lutte contre les exclusions, la santé et les services à la personne, le dynamisme des activités économiques locales, la préservation de l’environnement et un développement mondial équilibré (voir ici). Par ailleurs, elle refuse de s’enrichir grâce à la spéculation folle sur les marchés boursiers et la spéculation sur les matières premières agricoles, et déclare ne pas posséder de filiale dans les paradis judiciaires ou fiscaux (voir ici et ).

La banque précise par ailleurs que les conseiller·ère·s ne sont pas là pour faire du chiffre puisqu’ils/elles ne reçoivent pas de commission pour la vente de produits bancaires. De plus, chaque client·e peut également devenir associé·e du Crédit coopératif au moment de l’ouverture de son compte, en achetant une ou plusieurs parts, d’une valeur nominale de 15,25 €, qui permettent d’obtenir des intérêts sur les bénéfices de la banque (voir ici).

Un dernier point particulièrement intéressant est que le Crédit Coopératif permet à ses client·e·s de financer directement des associations. Avec la carte Visa Agir, la banque verse un don de 6 à 12 centimes d’euros à chaque retrait à une association choisie par chaque client·e parmi une liste définie (voir ici) et les utilisateur·trice·s peuvent également choisir de verser des micro-dons à cette occasion (voir ). Elle propose également divers livrets d’épargne, dont le livret Agir, qui verse la moitié des intérêts à l’association choisie (voir ici). Ces dons permettent de bénéficier de déductions d’impôts. La banque indique ainsi avoir versé 4 millions d’euros de dons à des associations en 2014 et 3 236 704 € en 2016 (voir ici et ).

Toutefois, le modèle du Crédit coopératif n’est pas parfait. Parmi les client·e·s qui possèdent une part de l’entreprise et qui ont le droit de vote lors des assemblées sont exclu·e·s les particulier·ère·s : seules les entreprises et les associations ont chacune une voix (voir ici), même si les autres client·e·s associé·e·s peuvent également exprimer leur avis lors des assemblées générales. Par ailleurs, le Crédit coopératif n’est pas considéré par tous comme une véritable banque éthique puisqu’il ne publie pas les détails de ses investissements et ne propose pas à ses client·e·s de choisir à quoi servira leur épargne (voir ici).

De plus, la banque est décriée pour avoir décidé, dans le but de stabiliser son modèle économique, de faire partie du groupe BPCE, autre banque citée parmi les mauvais élèves, et de détenir 1% de son capital (voir ici et ). Autre question troublante : celle des discriminations au prêt immobilier ou au crédit à la création d’entreprise. Le Crédit Coopératif a fait partie des banques testées par la ville de Villeurbanne pour déterminer l’existence d’éventuelles discriminations. Selon le rapport publié en septembre 2017, des discriminations selon l’origine ont été observées « sur l’ensemble des 27 agences testées », et des discriminations selon le sexe « sur l’ensemble des 28 agences testées ». Il n’est pas dit explicitement que les agences du Crédit coopératif sont concernées, mais le rapport précise « qu’aucune différence notable n’[a] été enregistrée entre établissements bancaires commerciaux et établissements bancaires mutualistes » (c’est-à-dire coopératifs). Un autre mauvais point pour le Crédit coopératif. Enfin, la rémunération du président du conseil d’administration fait débat parmi les sociétaires de la banque, même si elle reste bien inférieure à ce que perçoivent les dirigeants d’autres établissements : « Pourquoi un président gagnerait-il 25 000 euros par mois ? » (voir ici, ainsi que le document de référence 2016 qui indique [p. 28] une rémunération et des avantages d’un total de 328 315,68 € pour l’exercice 2016). Le Crédit Coopératif a donc encore des progrès à faire, même s’il reste pour l’instant le meilleur choix en France pour des comptes courants.

Cependant, un autre établissement bancaire véritablement éthique existe : la Nef, elle aussi certifiée par le label Finansol. Elle proposait à l’origine uniquement des comptes d’épargne et s’appuyait sur un partenariat avec le Crédit coopératif, mais elle offre maintenant des comptes courants aux entreprises et prévoit d’étendre cette offre aux particuliers (voir ici et ). Elle ne finance que des projets à impact positif (voir ici) et propose elle aussi à ses client·e·s de partager une partie ou la totalité de leurs intérêts avec des associations. De plus, chaque client·e peut devenir sociétaire et obtenir ainsi le droit de vote lors des assemblées générales. Par ailleurs, le rapport annuel de 2016 précise que les écarts de salaire sont compris dans une échelle allant de 1 à 4,5. Enfin, la Nef est totalement transparente puisqu’elle publie chaque année une liste intégrale des projets qu’elle finance.

En Belgique

La Belgique est moins bien lotie que la France en termes de banques éthiques. Comme la Nef, la banque Triodos, d’origine néerlandaise, propose des produits d’épargne et présente sur son site l’ensemble des projets, durables et locaux, qui sont financés (voir également ici). Elle propose également des investissements responsables. En 2009, le Financial Times lui a accordé le prix de la banque la plus durable. Quant à la coopérative New B, qui finance elle aussi des projets durables, elle est en attente d’une licence bancaire (voir ici) mais propose déjà une carte prépayée GoodPay Mastercard. À chaque paiement avec cette carte, New B verse 5 centimes à une association. Pour accompagner le développement de la banque, il est possible de devenir sociétaire en investissant dans des parts d’une valeur de 20 € et en obtenant ainsi une voix lors des votes des assemblées générales (voir ici). New B précise par ailleurs que l’écart des salaires entre ses employé·e·s n’excède pas un rapport de 1 à 5 (voir ici).

En Suisse

La Banque alternative suisse offre quant à elle aussi bien des comptes courants que des comptes d’épargne à ses client·e·s, et leur propose en outre de réaliser des investissements responsables. Elle publie elle aussi la liste de tous les crédits qu’elle accorde, qui vont à des projets sociaux ou écologiques.

Des banques peu sûres ?

Une question que vous vous posez peut-être si vous hésitez à sauter le pas : ces petites banques sont-elles sûres ? Peut-on leur faire autant confiance qu’aux grandes banques ? La réponse est simple : oui. La Nef précise sur son site que, parce qu’elle est agréée par la Banque de France « et en application de l’article 52-1 de la loi n°84-46 du 24 janvier 1984 modifiée et du règlement du Comité de la Réglementation Bancaire n°95-01 du 21 juillet 1995 relatif à la garantie des dépôts, [les] dépôts sont couverts par un dispositif agréé par les pouvoirs publics et commun à l’ensemble du système bancaire ». En Belgique, la banque Triodos précise elle aussi que l’épargne de ses client·e·s est protégée par le système néerlandais de garantie des dépôts à hauteur de 100 000 euros par personne en cas de faillite. En fait, si l’on considère que les grandes banques prennent des risques considérables en spéculant avec l’argent de leurs client·e·s et qu’elles doivent régulièrement payer des amendes exorbitantes à cause de leurs pratiques illégales, notre argent paraît même plus sécurisé lorsqu’il est placé dans une banque éthique qui ne pratique pas la spéculation sur les marchés financiers.

Des banques trop chères ?

Autre objection possible : une petite banque éthique serait forcément plus chère qu’une grande banque présente partout. Faux ! D’après le classement réalisé par CBanque, en France, le Crédit coopératif est la 40e banque la moins chère sur 140, quand le CIC est 77e, la Société Générale 91e, LCL 93e et BNP Paribas 103e. Mais le Crédit coopératif est la 21e banque la moins chère si l’on prend en compte les opérations du quotidien, et même la 4e pour l’épargne. C’est seulement sur les incidents et découverts qu’elle perd beaucoup de places, en étant 111e. Autrement dit : quand on n’a aucun problème d’argent particulier, le Crédit coopératif fait partie des établissements les moins chers, et il est de façon générale beaucoup moins cher que de nombreuses grandes banques !

Au quotidien, pour un compte courant, c’est principalement la carte de crédit qui est facturée (la banque ne propose pas de pack spécial destiné à nous faire payer tout un tas d’ « avantages » dont nous ne voulons pas). Par exemple, pour une carte Visa classique ou une Visa Premier, il faut compter 41 € et 99 € par an respectivement au Crédit Coopératif (voir ici), mais 42,24 € et 127,32 € respectivement chez BNP Paribas (voir ici) et 45 € et 135 € respectivement à la Société Générale (voir ici et ). En outre, le Crédit coopératif est l’une des seules banques françaises à ne pas avoir introduit en 2017 des frais de tenue de compte (voir ici).

Il n’y a donc que de bonnes raisons de changer de banque pour préférer une banque éthique. Un seul problème : des banques véritablement éthiques ne sont pour l’instant pas disponibles partout et elles ont moins d’agences (même si ce n’est pas nécessairement un problème quand on peut gérer ses comptes par internet). Mais l’offre se développe et ceux et celles d’entre nous pour qui c’est possible peuvent encourager la transition vers un secteur bancaire plus responsable en changeant de banque dès aujourd’hui. Et en attendant, quand on habite par exemple en Belgique où aucun établissement ne propose de compte courant éthique, il est possible de changer de banque pour privilégier une banque « classique » moins néfaste, tout en confiant son épargne à une banque plus responsable.

Aller plus loin

Basta !, « Comment reconnaître une banque véritablement alternative, éthique et d’utilité publique », 5 janvier 2016.

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