L’huile de palme 3. L'accaparement de terres

Des équipes de l’agence gouvernementale CONRED et de l’ONU rendent visite aux communautés affectées
par la contamination du Río Pasión causée par la production d’huile de palme à Sayaxché, au Guatemala.
Photo : CONRED (Licence CC BY-NC-ND 2.0)

Destruction de l’habitat de peuples autochtones, menaces voire meurtres : tous les moyens sont bons pour les producteurs d’huile de palme d’Asie du Sud-Est, d’Amérique latine et d’Afrique pour s’approprier de nouvelles terres agricoles.

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Dans mes articles précédents de cette série (ici et ), j’ai surtout parlé des conséquences environnementales de la production d’huile de palme. Je voudrais à présent m’intéresser aux violations de droits humains qui sont liées à cette production. Ces violations commencent avec l’acquisition des terres destinées à la plantation de palmiers à huile.

Ainsi, un rapport (en espagnol) de l’Asociación Consejo Nacional de Desplazados de Guatemala (CONDEG), daté de 2011, s’est intéressé à la façon dont les entreprises productrices d’huile de palme accaparent les exploitations agricoles familiales ainsi que des terres appartenant à des communautés autochtones à Sayaxché, au Guatemala. Des promesses comme un emploi à vie dans les plantations de palmiers à huile ou l’accès à l’eau et au bois de chauffage permettent parfois de convaincre les propriétaires de vendre leur terrain, mais ces promesses sont rarement tenues. Les producteurs d’huile de palme disposent aussi de différents moyens de faire pression sur les propriétaires pour que leurs terres soient mises en vente. Les personnes qui n’ont pas vendu leur exploitation agricole peuvent ainsi voir l’accès à leurs champs, qui sont entourés de toutes parts de plantations de palmiers à huile, bloqué. Les industriels peuvent également empêcher les personnes qui refusent de céder leurs terres de vendre leurs produits agricoles dans les communautés voisines, en bloquant la circulation de véhicules. Ces blocages contraignent les agriculteurs et agricultrices à faire des détours de plusieurs kilomètres, et parfois à emprunter des chemins dangereux où des accidents mortels sont parfois déplorés.

Dans un rapport (en anglais) daté de 2017, les associations Environmental Rights Action et Friends of the Earth Nigeria se sont intéressées aux conséquences humaines du développement des plantations de palmiers à huile appartenant à l’entreprise belge Okomu Oil Palm Company PLC, membre du groupe Socfin, dont les principaux actionnaires sont l’homme d’affaires belge Hubert Fabri et le groupe du milliardaire français Vincent Bolloré (pour une présentation de la Socfin et de ses activités en Afrique, voir par exemple un rapport publié par Greenpeace en 2016 ou son résumé). D’après les associations, l’entreprise Okomu Oil Palm Company PLC est responsable de la déforestation partielle de trois réserves de forêt tropicale, qui est illégale et qui met en danger la biodiversité mais également les communautés locales qui tirent une partie importante de leurs ressources de ces forêts. De plus, certain·e·s habitant·e·s ont rapporté que la compagnie s’était emparée de leurs terres en leur en bloquant l’accès, sans leur offrir aucune compensation et sans qu’aucun contrat de vente ne soit signé.

De la même façon, selon un rapport (en anglais) de l’ONG Global Witness, daté de 2015, une grande entreprise indonésienne a acquis des terres destinées à la culture de palmiers à huile au Libéria, sans le consentement des communautés auxquelles appartenaient ces terres ou sans compensation adéquate. Certaines communautés ont par ailleurs donné leur consentement sur la base d’informations incorrectes ou incomplètes concernant les conséquences de la cession de leurs terres ou sous la menace. L’entreprise a même eu recours à des agressions physiques et à au moins deux reprises, des personnes qui enquêtaient sur l’accaparement de terres ont été arrêtées et détenues avec l’aide d’une sénateur soupçonné d’avoir été corrompu par l’entreprise.

Les entreprises qui produisent de l’huile de palme vont parfois encore plus loin pour défendre leurs intérêts. Dans la région du Bajo Aguán, au Honduras, la multinationale de l’agro-alimentaire Dinant, qui produit de l’huile de palme, a été accusée du meurtre de nombreux propriétaires de petites exploitations agricoles qui refusaient le rachat de leurs terres ou luttaient pour récupérer leurs terres acquises frauduleusement par Dinant. Dans un rapport (en anglais, p. 19) daté de 2017, l’ONG Global Witness, spécialisée dans la lutte contre le pillage de ressources naturelles, dénombre ainsi 82 meurtres de personnes défendant leurs terres à Bajo Aguán entre 2010 et 2013, mais précise que, selon la police, le nombre réel s’éléverait plutôt à 148 meurtres. D’après le Guardian et l’ONG Rights Action (dans un rapport en anglais daté de 2013) les forces de police et l’armée sont elles-mêmes impliquées dans ces violations de droits humains, aux côtés de milices privées.

Le contexte local, une décennie après le coup d’État de 2009, fait du Honduras le pays le plus meurtrier au monde pour les personnes qui défendent l’environnement, d’après l’ONG Global Witness (voir ici, en anglais). Pourtant, des assassinats de personnes défendant leurs terres et plus généralement luttant contre les pratiques des producteurs d’huile de palme ont également lieu dans d’autres pays. En septembre 2017, six personnes ont par exemple été assassinées au Pérou dans le cadre d’un trafic de terres pour permettre la production d’huile de palme (voir ici, en anglais, ou , en français). En septembre 2015, à Sayaxché, au Guatemala, un juge a ordonné la suspension des activités de l’un des principaux producteurs d’huile de palme du pays, accusées d’avoir provoqué l’extinction massive de poissons d’une rivière locale sur 160 km, qualifiée d’écocide. Au lendemain de ce jugement, trois membres de l’association CONDEG, citée précédemment, qui luttaient contre les pratiques de l’entreprise, ont été enlevés, tandis que, le jour suivant, un instituteur qui avait lui aussi dénoncé l’écocide était abattu en plein jour dans le centre-ville de Sayaxché (voir ici). Des cas de meurtres sont également rapportés en Asie du Sud-Est (voir par exemple ici, en anglais).

La violation des droits des peuples autochtones

Une partie des terres acquises illégalement par les entreprises produisant de l’huile de palme appartenaient à des peuples autochtones qui vivent dans la forêt, et dont l’existence est aujourd’hui menacée par ces plantations. C’est par exemple le cas des Orang Rimba sur l’île indonésienne de Sumatra, qui vivent dans un parc national dans lequel des droits particuliers leur sont garantis, dont le droit de pratiquer la chasse et la cueillette, qui leur permettent de subvenir à leurs besoins. Cependant, ce parc est entouré de toutes parts par des plantations, entre autres de palmiers à huile, et certains membres de la tribu dont l’habitat a été détruit par ces plantations sont réduits à la mendicité pour survivre, puisque la biodiversité sur ces plantations est insuffisante pour répondre à leurs besoins. Malgré le statut protégé du parc national, la déforestation continue, et entraîne notamment l’abattage d’arbres considérés comme sacrés, comme les « arbres de naissance », plantés par la communauté après chaque naissance au-dessus du cordon ombilical enterré (voir cet article de l’association de défense des peuples autochtones Survival International). Les Orang Rimba craignent désormais que le gouvernement change d’avis et les expulse du parc, tandis que d’autres menaces pèsent également sur leur mode de vie, comme la nécessité de se convertir à l’une des six religions reconnues officiellement pour pouvoir obtenir des papiers d’identité, indispensables par exemple pour envoyer les enfants à l’école (voir ici, en anglais).

En mars 2018, le vidéaste Le grand JD a quant à lui réalisé un reportage dans la partie malaisienne de l’île de Bornéo, où vit le peuple des Penan, qui tire une part essentielle de ses ressources de la forêt, en fabriquant par exemple des sarbacanes aux flèches empoisonnées pour la chasse du cochon sauvage — bien que le fusil soit également utilisé pour la chasse. Ce peuple voit ses terres progressivement réduites par l’exploitation forestière, les plantations de palmiers à huile ou encore des projets de barrages hydroélectriques, sans son consentement (pour en savoir plus sur les Penan, voir ici ou ). En Suisse, l’activiste Bruno Manser, qui a vécu parmi les Penan et qui a disparu en 2000 au cours d’une expédition à Bornéo, a créé un fonds à son nom en 1991. Parmi d’autres projets, cette ONG a aidé pendant 15 ans les Penan à cartographier leur territoire afin de préserver leur mémoire mais surtout de revendiquer devant les tribunaux leurs droits sur des terres qui sont les leurs depuis de nombreuses générations. Ces cartes incluent non seulement des éléments topographiques, comme les montagnes et les cours d’eau, mais également des éléments culturels comme l’emplacement de sépultures ou des arbres d’où est tiré le poison dont sont recouvertes leurs flèches empoisonnées (voir ou pour un aperçu rapide du projet ; pour en savoir plus, lire cette interview de deux Penan qui ont participé au projet).

Des entreprises de cartographie participative similaires sont réalisées sur l’île de Bornéo par d’autres peuples dayaks (voir ici, en anglais), aujourd’hui avec l’aide de drones (voir ici ; le terme dayak désigne de nombreux peuples autochtones de Bornéo, parmi lesquels les Penan)1. Le territoire de différents groupes dayaks est convoité depuis de longues années par des compagnies productrices d’huile de palme. Par exemple, des parcelles de forêt appartenant aux Dayak Benuaq ont été détruites, les privant de nombreuses ressources et les exposant, selon leurs traditions, à la colère des esprits puisque des rituels et des offrandes sont normalement nécessaires avant toute coupe d’arbres. Des terres agricoles ont également été détruites, menaçant l’autonomie alimentaire de la population de différents villages et obligeant de nombreuses personnes à accepter des compromis proposés par les entreprises productrices d’huile de palme afin de pouvoir travailler dans les plantations et subvenir à leurs besoins élémentaires2. Ainsi, si certaines communautés dayaks résistent par tous les moyens possibles, une association d’agriculteur·trice·s dayaks dénonce aujourd’hui la discrimination dont ils et elles sont victimes et défendent la production d’huile de palme dont ils et elles sont dépendant·e·s (voir ici, en anglais).

On ne peut nier que la production d’huile de palme fournit à certaines populations le moyen d’assurer leur subsistance, même si elle met en danger d’autres populations. Pourtant, les entreprises qui produisent de l’huile de palme sont loin d’assurer une meilleure vie aux personnes qu’elles emploient et aux populations locales. Ce sera l’objet de mon prochain article.

Notes


1. Malgré leurs avantages, des telles entreprises de « contre-cartographie » (c’est-à-dire qui s’opposent aux entreprises de cartographie réalisées notamment par les pouvoirs publics) peuvent également avoir des effets négatifs sur les communautés dont le territoire est cartographié : voir A. Pramono et al., « Ten years after: Counter-mapping and the Dayak lands in West Kalimantan, Indonesia », à télécharger ici. [RETOUR]
2. M. Haug, « Resistance, Ritual Purification and Mediation: Tracing a Dayak Community’s Sixteen-Year Search for Justice in East Kalimantan », The Asia Pacific Journal of Anthropology 15, 4 (2014), p. 357-375. Voir également ici ainsi que cette pétition à signer.[RETOUR]

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